jeudi 21 avril 2016

Ma lettre à Jean Rochefort au sujet de Lili Brik, Elsa Triolet et Aragon - Don Quichotte


Le 21/04/2016
Mon cher Jean Rochefort,
J’ai beaucoup de respect pour votre personne, pour votre talent, pour votre art. Je viens de terminer de lire le livre que vous avez écrit en 2013, « Ce genre de choses » chez Stock.
Vous y racontez, notamment, votre séjour en URSS, en 1958, au cours duquel vous avez rencontré Lili Brik, la sœur d’Elsa Triolet et la belle-sœur de Louis Aragon. Vous les décrivez, à votre manière, et vous resituez leur petite histoire dans la grande, toujours avec votre vision très subjective. Si vous avez exposé votre point de vue, permettez-moi de vous donner le mien.
Vous décrivez Lili Brik comme étant « détentrice du double des clés du Kremlin, membre de la Tcheka. Elle fait peur. Elle trouve Khrouchtchev mollasson. Les deux sœurs sont des rongeuses.». Or, Lili Brik vivait de ses droits d’auteur car elle avait beaucoup écrit sur Maïakovski pour le faire connaître, et elle a raconté les années 1920. En 1958, Khrouchtchev estime qu’elle mène une vie trop privilégiée. Il ferme le robinet d’argent. Lili vit avec Vassili Katanian, un Arménien spécialiste de Maïakovski, et ils vivront de son travail et de la vente d’objets de valeur. Elle a eu auparavant comme maris Ossip Brik et Vitaly Primakov. Elle reçoit néanmoins chez elle Pablo Neruda, René Clair, Henri Cartier-Bresson, Alberto Moravia, Tatiana Samoïlova.
Vitaly Markovitch Primakov, né le 3 décembre 1897 et exécuté le 12 juin 1937 est un officier soviétique ukrainien qui fut l'un des chefs de l’Armée Rouge, commandant des cosaques rouges et commandant adjoint de la région militaire de Léningrad.
Il a été victime des Grandes Purges et du procès de Moscou, mais réhabilité en 1957.
Selon Wikipédia, Ossip Brik a rejoint la Tchéka. Ossip Brik était écrivain d'avant-garde russe et critique littéraire, a été l'un des membres les plus importants de l'école formaliste russe, bien qu'il s'identifie aussi comme l'un des futuristes. Brik était particulièrement proche d' Alexander Rodchenko et a fait beaucoup pour faire connaître son travail photographique. Brik était non seulement un moderniste littéraire, il a été fortement de gauche dans la politique, et le 8 Juin 1920, il rejoint la Tchéka. Travailler dans la Tchéka l'avait ruiné. Après l’arrivée au pouvoir de Staline, la plupart des artistes d'avant-garde et les penseurs ont souffert de persécution, et Brik n'a pas échappé à ce sort. Dans les années 1930, il a eu une maigre vie tout en écrivant des articles sur Maïakovski; il est mort en 1945 d'une crise cardiaque tout en grimpant les escaliers à son appartement.
Plus loin, selon Jean Rochefort, Aragon se dispute avec Picasso à propos du portrait de Staline ? Mais c’est Elsa la responsable !
En 1950, Jacques Duclos fait paraître un communiqué :
« Le secrétariat du Parti communiste français désapprouve catégoriquement la publication dans Les Lettres françaises du 12 mars du portrait du grand Staline par le camarade Picasso. Sans mettre en doute les sentiments du grand artiste Picasso dont chacun connaît l’attachement à la classe ouvrière, le secrétariat du Parti communiste français regrette que le camarade Aragon, membre du comité central et directeur des Lettres françaises, qui, par ailleurs, lutte courageusement pour le développement de l’art réaliste, ait permis cette publication. »
Il faudra attendre 1953 pour que la réconciliation entre Picasso et le Parti communiste français soit effective. L’« erreur » du secrétariat du PC sera reconnue par François Billoux, lors du comité central des 22 et 23 octobre, tenu à Drancy.
Mais repartons sur l’année 1958. Jean Rochefort devient une victime du système soviétique. Il aurait été arrêté en URSS en 1958, à Stalingrad. Oui, un jour, deux jours, pourquoi ? Lui-même ne le sait pas. Chut, il ne peut pas en parler. Il est incompris, anéanti sous le poids des intellectuels français pro-russes.
Or, 1958, c’est l’année où Boris Pasternak est traîné dans la boue. Les deux sœurs, Lili et Elsa, vont prendre sa défense. Roman clandestinement publié en Italie, « Le docteur Jivago » reçoit le prix Nobel de littérature. Or, Khrouchtchev ne souhaite pas que l’intelligentsia russe s’émancipe. Il interdit la publication du livre en URSS. Pasternak renoncera au Nobel pour ne pas connaître l’exil et il mourra deux ans plus tard, Lili assurant qu’il en est mort de tristesse.
Et c’est au tour de Lili, en 1968, d’être calomniée au sujet de lettres écrites à Maïakovski et publiées dans un livre de la collection « L’Héritage littéraire ». Elle demandera à Louis Aragon de défendre les écrits. Cela n’empêchera pas que la violence se déchaîne. Les idéologues du parti communiste de l'Union Soviétique lui reprochent d’avoir poussé Maïakovski au suicide. Il aurait pu être heureux avec Tatiana Iacovleff, autre muse de Maïakovski qui en était amoureux. Tatiana était journaliste, mannequin et professeur. Lili a défendu durant toute sa vie la mémoire de Maïakovski et de Primakov qu’elle a aussi aimé. L'élimination de Primakov date des purges staliniennes de 1937. Comment échappa-t-elle aux purges ? Une lettre envoyée à Staline pour qu'il défende la mémoire de Maïakovski et annotée favorablement par le tyran l'a probablement protégée contre tous les dangers. Staline a écrit : « On ne touche pas à la femme de Maïakovski. »
Elle interviendra personnellement pour que la danseuse russe Maïa Plissetskaïa puisse sortir du pays, alors qu’on lui avait refusé son départ.
En 1961, âgée de 70 ans, elle partage sa vie entre les traductions, les spectacles, les séjours en France, à Moscou et sa datcha. Elle se grise de culture, de littérature, en allemand, en français et en russe. Elle lit, entre autre, « Bonjour tristesse » de Françoise Sagan, roman qu’elle n’aime pas. Elle est harcelée par la sœur de Maïakovski, et subit la haine teintée d’antisémitisme depuis des dizaines d’années.
En 1962, elle conseille à Aragon une nouvelle remarquable, à ne pas manquer. C’est un écrit de Soljenitsyne, « Une journée d’Ivan Denissovitch ». Malgré la censure, elle écrit à sa sœur sur les camps. Mais personne en URSS n’a osé aborder ouvertement ce sujet. Elsa Triolet écrit dans les « Lettres françaises » que les staliniens sont des individus dangereux. Elle salue la publication de ce livre.


« L’enfer d’Ivan Denissovitch, c’est que le futur n’existe plus… »
Pierre Daix
Epigraphe citée par Aragon

Sur le sujet des goulags, Jean Rochefort voulait parler d’un tronçon de chemin de fer. Les premiers tronçons de la Magistrale Baïkal-Amour furent construits en plusieurs fois par les prisonniers du Goulag. Celui de Taïchet à Bratsk fut construit dans les années 1930; il mobilisa 180 000 détenus et fit 10 000 morts. Mais l’essentiel de cette ligne fut construite entre 1972 et 1984. En raison de la stagnation économique (zastoï) de l’URSS, le projet fut un véritable gouffre financier. Pour rappel, L’Empire russe utilisait en effet depuis le XVIIe siècle des brigades de travail forcé en Sibérie. Les objectifs assignés aux camps de travail n’avaient pas changé depuis l’époque impériale : éloigner les opposants politiques.
En 1968, Aragon soutient la jeunesse praguoise contre le gouvernement soviétique et Elsa soutient sa sœur Lili contre l’antisémitisme et la haine. C’est en trop. L’URSS interdit la vente des « Lettres françaises ». C’est le coup de grâce. Gardaient-ils le silence pour protéger Lili en n’irritant pas le Kremlin ? Une lettre de Lili du 7 novembre 1968, à sa sœur, lui demande le contraire. "Je te demande de ne pas penser du tout à nous (nous sommes déjà vieux), ni à ce que tes déclarations peuvent nous nuire. Fais tout comme tu estimes devoir le faire. Nous n'en serons qu'heureux. Nous avons tous été des idiots assez longtemps. Ça suffit comme ça!"
Ce sont Pierre Bergé et Yves Saint Laurent qui gâteront Lili lors de ses passages à Paris. Elle donne le nom de « Moujik » à un chien de Pierre Bergé. Andy Warhol peint « Moujik 1 ».


« Les soeurs Kagan réunissaient la culture, la beauté, le talent, l'intelligence, elles étaient imbattables ».
Pierre BergEn 1977, Aragon intervient auprès de Brejnev pour que le réalisateur russe du film Les chevaux de feu (1965), Sergueï Paradjanov, soit libéré après quatre ans d’internement. Il est soutenu par Lili et Vassili Katanian.
Lili fut toute sa vie la figure centrale de l'avant-garde russe avec une originalité et des exigences très hautes.
Louis est présenté par Jean Rochefort comme « écrasé sous les regards des deux sœurs ». Or le secret de la relation entre Elsa Triolet et Louis Aragon prend peut-être toute son ampleur après le décès de celle-ci. Elle lui avait apporté la rigueur, la suite dans les idées, la discipline. Elle avait le sens de la création littéraire et relevait les défauts de la construction ainsi que les faiblesses. Pendant quarante-deux ans, elle a été la colonne vertébrale, la confidente et la critique littéraire d’Aragon. Il se voulait un chantre tel Pétrarque ou Ronsard et a utilisé le mythe d’Elsa et de ses yeux dans sa poésie.


Privé d’Elsa, Louis est sans repères à la fin de sa vie, s’entourant de jeunesse quand la sienne fuit en lui, ressassant ses souvenirs. Le choc de la perte d’Elsa est immense. Il change de mode de vie et de repères. La haine qu’il inspire provient de sa liberté et du scandale que provoque sa conduite de vie.
« Le premier accroc coûte 200 francs » est un titre du livre primé au prix Goncourt par Elsa Triolet qui résume, selon vous, la menace que subissait Aragon. Cela aurait été le prix à payer en cas de trahison à la cause communiste. Mais savez-vous que cette phrase annonçait le débarquement en Provence ? Le titre de ce livre est une des phrases mystérieuses que l'on entendait à la radio de Londres, pendant l'Occupation, un message chiffré destiné à la Résistance. Rappelons que c’est Elsa Triolet qui a qualifié le PCF de « parti des fusillés » à la fin de la seconde guerre mondiale, en hommage aux militants communistes qui se sont battus contre l’occupation nazie en France pendant la seconde guerre mondiale.
Vous terminez par les errements politiques de nos intellectuels français, Aragon, Picasso, Barbusse, Romain Rolland, Eluard, Sartre. Ils se sont transformés en propagandistes douteux.
Mais qui sont les intellectuels français engagés pour plus d’émancipation humaine et plus d’égalité sociale au XXIe siècle ?
Enfin, vous pardonnez à Aragon, à la fin de son texte, mais pas à Elsa.
Alors, j’ai cherché sur Internet si l’autre camp politique et économique n’avait rien à se reprocher, et j’ai trouvé quelques exemples significatifs sur le site :


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Et pour terminer, vous n’êtes pas le seul à condamner Elsa Triolet, Lili Brik et Louis Aragon. Le couple suscite toujours de la haine et de la colère.
En 2015, Hubert Félix Thiéfaine a composé une charge extraordinaire contre Louis et Elsa dans une chanson appelée Karaganda Camp 99 (Stratégie de l’inespoir). Il dénonce Staline et le camp de travail de la seconde guerre mondiale lié à cette petite ville kazakh, en profitant pour attaquer Louis Aragon et Elsa Triolet pour leur soutien à l'URSS.


« c’est l’histoire assassine qui rougit sous nos pas
c’est la voix de Staline c’est le rire de Béria
c’est la rime racoleuse d’Aragon & d’Elsa
c’est le cri des enfants morts à Karaganda »

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Et pour ceux qui voudraient lire le texte, voici le lien:


Voir le texte avec les illustrations:


http://bmasson-blogpolitique.over-blog.com/2016/04/lettre-a-jean-rochefort-au-sujet-de-lili-brik-elsa-triolet-et-aragon.html

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Terry Gilliam a enfin bouclé le tournage de son Don Quichotte, mais…


Paroles d’avocat de Paulo Branco :


Elle fait verser aux débats le documentaire sur l'échec du tournage de Don Quichotte en 2002 "Lost in la Mancha". "Quand on décide de tourner à côté d'une base militaire, on ne peut pas s'étonner que des F16 survolent le tournage.

Elle dit que Gilliam n'a pas non plus anticipé la météo (pluies diluviennes) et qu'il a choisi un acteur en mauvaise santé (Jean Rochefort).

"Le film (finalement tourné par Gilliam) est dédié à Jean Rochefort. C'est d'une indécence sans nom. Jean Rochefort a failli y laisser la vie. Vous lirez dans mes pièces ce que JR en disait».

terry-gilliam-a-enfin-boucle-le-tournage-de-son-don-quichotte-mais

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Procès à suivre:

https://twitter.com/cocale


L'HOMME QUI TUA DON QUICHOTTE Bande Annonce

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Gérard Garouste
Avec Judith Perrignon
L’intranquille
Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou.
Edition l’Iconoclaste, 2009.

Pages 120 et 121 :

Parmi les livres importants pour Gérard Garouste, il y a Don Quichotte. « Ce chevalier errant, fou de romans de chevalerie totalement démodés, se fiche d’être de son temps, il joue avec son époque, le passé, le présent, le déjà-vu qui étonne. » Il y a reconnu son défi à la peinture.
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Un autre admirateur de Don Quichotte: Henry Clews.


                                                        Dans son château de la Napoule

Henry Clews se dresse contre la société qui vénère la science toute puissante et qui dénigre toute autre forme d’inspiration. Ce sont pourtant ces inspirations que Clews prône, tel le mythe, l’allégresse et le mystère.

Marie Clews, née Elsie Whelen, naît en 1880 à Philadelphie (USA). Fille   benjamine d’une famille aristocratique de mécènes d’art, elle a toujours rêvé d’être chanteuse d’opéra.

Elle organisera des concerts et récitals au château de la Napoule.  Elle met fin à son premier mariage par un divorce. Elle se sentait bridée dans ses énergies et frustrée dans ses velléités artistiques. Elle épouse Henry Clews en 1914 et ils partirent vivre à Paris. Son mari la rebaptise de Marie, comme la Vierge Marie. Paris en guerre, la famille s’installe à la Napoule en 1918. Le château est reconstruit suivant les plans de Marie. Ensemble, ils créent un monde imaginaire.

                                        Salvador Dali illustre 
"Don Quichotte de la Manche"


Quichotte

1979

Eau forte et aquatinte sur papier

Joan Ponç

Musée d’art moderne

Exposition « Diabolo »

Céret

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Don Quichotte et Sancho Pança 
Mon montage.
11 21

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Honfleur 
Musée seconde guerre mondiale 
Blockhaus de la gare 
Staline et Allemagne 
1939

Le Pacte germano-soviétique.

Hitler était pressé d'envoyer son ministre des Affaires étrangères à Moscou. Les années précédentes, son Reich était en expansion constante : l'Anschluss de l'Autriche (mars 1938), l'annexion des Sudètes en Tchécoslovaquie (septembre 1938), l'occupation des restes de la Tchécoslovaquie (mars 1939). C’était maintenant au tour de la Pologne - et Hitler avait cruellement besoin d’une garantie que l’URSS n’attaquerait pas l’Allemagne.

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