Soutien au journal « L’Humanité »
Avignon
Maison Jean Vilar
Jean Jaurès et la vérité à dire.
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Marie-José Sirach
Avec Alain Hayot et la commission nationale
culture du PCf, avec Pierre Dharréville, nous avons décidé d’organiser une
journée de soutien pour « l’Humanité ».
Marie-José Sirach
Un grand nombre de départ de journalistes va
avoir des conséquences importantes pour le journal. La rédaction est mobilisée,
fragilisée, mais elle reste debout. Depuis ces derniers mois, nous vivons dans
l’incertitude. Avec le désir, la rage au cœur et au ventre, nous souhaitons
poursuivre cette belle aventure qu’est le journal. Tous les jours, c’est un
miracle que le journal sorte. Il est intéressant, il est bien fait avec du cœur
à l’ouvrage. Ce journal a la particularité de tenir, de poursuivre son chemin grâce
à la solidarité active de ses lecteurs.
Marie-José Sirach
A Radio France, plusieurs centaines d’emplois
sont menacés (entre 350 et 380). Canal Plus, ça vient de tomber (entre 300 et
500 emplois). Ca ressemble à un plan social qui ne dirait pas son nom. La
presse est un des piliers fondamentaux de la démocratie. Si la presse prend des
coups, si l’Etat faiblit, si les pouvoirs publics ne prennent pas leur
responsabilité, c’est la démocratie qui vacille.
Jean-Louis Martinelli lit
Michel Boué
HAUTE
COUTURE LE DÉFILÉ YVES SAINT LAURENT À LA FÊTE DE L'HUMA
Mardi, 8
Janvier, 2002
Lors de l'édition 1988 de la Fête de l'Humanité, le public de La
Courneuve découvrait, émerveillé, les créations du grand couturier Yves Saint
Laurent. Un défilé organisé sur l'initiative de notre collaborateur Michel
Boué. Voici le compte rendu qu'il en donnait dans nos colonnes.
Yves Saint-Laurent
Paris
Champs-Elysées
La grâce et les larmes
Le triomphe populaire des modèles du couturier vendredi soir, est une
grande première culturelle.
On parle de cinquante mille admirateurs...
Un jour de rêve. Dès l'aube, on scrute le ciel, on consulte la météo.
Nuageux sans pluie. Ouf ! Une ondée annulerait forcément le défilé des pièces
de collection que sont les modèles de haute couture. Et un climat dissuasif
ravirait les méchantes langues qui rêvent d'un bide pour cette grande première
: l'art de la mode à la Fête des communistes.
10 heures du matin, départ survolté depuis le luxueux siège d'YSL. Au
numéro 5 de l'avenue Marceau, on est sur le pied de guerre. Deux bus démarrent.
· bord, cent participants griffés YSL : quarante mannequins, habilleuses,
coiffeurs, encadrement. Un voyage exotique pour nos belles, les tops models les
plus recherchées du monde qui vont croiser à l'arrivée les Garçons Bouchers en
répétition. Le choc des mondes.
Trois heures de répétition, en tenue, sous la baguette exigeante de
Claude Licard. " Pas de défilé au rabais, a prévenu Pierre Bergé. Ce doit
être plus parfait que jamais. " Les camarades des chantiers alentours
rappliquent, écarquillent les yeux et applaudissent. Déjà. Bon signe.
· 16 heures, pique-nique. Puis balade parmi les stands, avant la
réception offerte par l'Humanité à la maison de couture. Mme Saint Laurent mère
en est, mais pas Yves, absent hélas. 20 heures : les " filles ", déjà
gâtées par la nature, sont entre les mains des maquilleurs qui en feront de hiératiques
déesses. Le général en chef Bergé passe les troupes en revue. L'heure H
approche et l'anxiété monte. Viendront-ils ? Aimeront-ils ?
· 20 h 45, une chape de glace nous tombe dessus. La pelouse est déserte
alors que déjà les invités s'entassent dans le pré carré au pied de la scène.
C'est qu'on est vendredi, les travailleurs ont gagné au dernier moment
La Courneuve. Et le miracle a lieu : Francis Crémieux fait les présentations.
En un quart d'heure, la pelouse est noire de monde : cinquante mille personnes
disent des dépêches. Serait-ce moins, c'est déjà considérable. Mais qu'en
diront-ils ?
Nuit noire. Décor noir. Mannequin noir. Tailleur, pantalon noir. Une
reine africaine descend l'escalier : c'est parti ! C'est parti pour cinquante
minutes d'enchantement mémorable. Dans l'idéale douceur du soir, cent
trente-cinq merveilles vont nous époustoufler : alternance des séries noires et
des festivals de couleurs ; d'hiver et d'été ; de jour et de soirée ; de motifs
cubistes et de fauves. L'ensemble est d'une majesté grandiose, d'une rigueur de
mouvement parfaite, d'une grâce saisissante. Une sorte d'apesanteur semble
baigner les passages. Une irréelle lenteur. Entre les tableaux, un silence
tendu révèle un public suspendu à la prochaine apparition.
Au début, la foule semble frappée de stupeur. Et puis commencent à
monter les bravos. " Extraordinaire, lance Pierre Bergé, ils préfèrent
exactement les meilleurs modèles. " L'instinct de l'élégance. " Les
mannequins n'ont jamais aussi bien défilé ", constate Christophe Girard.
Tendues au départ, elles vont vite comprendre. Comprendre que ce public,
innombrable, a lui aussi compris. Compris que la couture est une peinture et
une sculpture ; qu'un mannequin n'est pas une femme objet, mais que son métier
est de magnifier sa robe en la faisant bouger sur le corps ; que Saint Laurent
est un artiste à part entière et non un marchand de vêtements chers pour femmes
riches ; qu'il est venu voir et non acheter. " Ce soir, dit une fille,
j'ai l'impression que toute cette beauté est pour nous. " Elle a tout
pigé. Ils ont tous pigé, l'esprit dans lequel l'Huma a conçu cet événement
politique d'une certaine façon, finalement. C'est aussi un hommage aux
ouvrières de la haute couture avec qui nous avons fait un débat hier sur la Fête
(on en reparlera).
On lit sur les visages un ravissement presque incrédule. Des gens
pleurent. En coulisses, les salves de vivats sidèrent Frank et Robert, les deux
assistants de Saint Laurent qui mettent la dernière touche (le petit rien qui
fait tout le chic de la maison) au tableau du maître. Et quand, à la fin, la
traditionnelle mariée surgit du néant dans son fourreau blanc empesé de
colombes, le parterre se lève pour une ovation triomphale. Les mannequins
quittent la scène à regret, bouleversées. Le clan Saint Laurent est aux anges.
Des rappels tambourinent. En vain. C'est déjà fini.
Un rêve est passé vendredi par La Courneuve, il s'y était arrêté. Merci
Monsieur Saint Laurent.
Michel Boué
Jean-Pierre
Léonardini parle de Michel Boué.
Il
écrit des chroniques théâtrales dans l’Humanité.
Il a écrit un livre « Qu’ils crèvent les
critiques » qui a été PRIX DE LA CRITIQUE 2018, pour le Meilleur livre sur le théâtre.
quils-crevent-les-critiques
Michel Boué venait du « front homosexuel
hohenzollern » *, et il était communiste. Il a été adopté et plébiscité
par la rédaction. Il avait un grand talent. Il a écrit un très beau livre
« Le roman de la robe ». Il y racontait son aventure avec la haute
couture. Avec Claude Cabanes, le rédacteur en chef de l’époque, ils avaient
décidé qu’il y aurait une rubrique mode dans « L’Humanité ». Ce qui
n’allait pas soi. Le journal était un organe de lutes des ouvriers et d’émancipation
des travailleurs. Le travail de la mode est le travail de la beauté. Maurice
Thorez, après la Libération, défend la haute couture et les articles de Paris.
*
Front_homosexuel_d%27action_révolutionnaire
Jean-Pierre
Léonardini et le travail sur l’intelligence de « L’Humanité »
Ce
travail de réflexion sur l’intelligence, sur la culture et la raison, est une
des raisons d’être du journal de Jaurès. Il a commencé avec tout ce qu’il y
avait de grands intellectuels. Ca va d’Anatole France à Léon Tolstoï. J’ai
commencé à être le plus jeune dans ce journal. Et je suis le plus vieux
aujourd’hui. Je parle en qualité de doyen vénérable. Si ma voix tremble, c’st
d’émotion.
Jean-Pierre
Léonardini et les intermittents.
On
ne demande plus aux journalistes de « L’Humanité » d’être encartés,
mais d’avoir de la sincérité. C’est depuis 1993. Avant, nous étions tous des
permanents du parti. C’était un acte volontaire. Je pense que l’on ne s’engage
pas mais qu’on « adhère ». On « colle ». Et on ne peut pas
se décoller. L’année de la lutte des intermittents (2014), nous étions en plein
dans la critique sociale et politique. Nous avions passé deux ou trois heures
avec une intermittente pour nous expliquer toutes les subtilités techniques et
administratives. On a pris des notes (ils étaient deux journalistes, NDLR). En
rentrant on a essayé de retranscrire la plupart de ses propos parce qu’on
n’avait pas tout compris.
Julie Brochen lit Muriel Steinmetz
MAGUY
MARIN : UN LION D’OR POUR UNE ARTISTE INSOUMISE
Lundi, 27
Juin, 2016
Après Pina Bausch et Anne Teresa De Keersmaeker, la chorégraphe
française a été distinguée à Venise, où elle nous a accordé un entretien.
Venise, envoyée spéciale.
Le 18 juin, date historique s’il en est, Maguy Marin a
reçu de Virgilio Sieni, directeur artistique de la Biennale internationale de
danse de Venise, la récompense suprême qu’elle a aussitôt dédiée à sa mère,
Louisa, et à sa fille, Louise. Elle s’est également réclamée de Pasolini. Elle
est arrivée en train de Montpellier parce qu’elle redoute l’avion et nous a
reçus dans son hôtel dès son arrivée.
Un
lion d’or, c’est impressionnant…
Maguy Marin :
Je suis reconnaissante envers Virgilio Sieni d’avoir pensé à moi. Le lion d’or
récompense un parcours et une vie dédiée à la danse. Cela signifie aussi que
l’on n’a plus 20 ans. On mesure la somme de ce que l’on a accompli. On
pense aussi à ceux grâce à qui cela fut possible. Je reçois donc ce prix en mon
nom mais je mesure aussi combien mon parcours n’aurait pas été le même sans de
multiples rencontres.
Vous
avez toujours pensé que la danse, le théâtre et l’art en général ne sont jamais
coupés de la réalité sociale. Dans ces moments durs que traverse aujourd’hui la
France, le pensez-vous plus que jamais ?
Maguy Marin Oui,
évidemment. Nous sommes dans une situation vraiment très difficile.
Personnellement, il me semble que quelque chose est arrivé à saturation et que
du nouveau dans le champ politique commence à émerger, comme Nuit debout. Il va
falloir songer à « organiser notre pessimisme », comme disait Walter Benjamin.
Au lieu de s’attarder dans l’impuissance d’agir, il nous faut envisager de
coopérer, même de manière locale, pour contrer les dégâts monstrueux du
néolibéralisme. Je ne pense pas à une révolution mais à des actes posés de
résistance. Il y a déjà eu dans notre histoire des gens qui ont lutté contre de
telles machines infernales. Je pense notamment à mes parents, à tous ceux qui
ont résisté durant la guerre. Même dans leur façon d’être, dans leur travail au
quotidien, dans leur rapport avec l’autre au sein du couple, certaines
personnes, au lieu de penser à se sauver elles-mêmes, ont sauvegardé une
certaine idée de l’humain. Ce sont des exemples. J’arrive à un âge où je pense
aussi beaucoup à transmettre à des jeunes gens.
Vous
aviez choisi en 2010 de quitter la direction du centre chorégraphique national
(CCN) de Rillieux-la-Pape…
Maguy Marin En
effet. Personne ne m’avait demandé de partir. Il s’agissait d’un choix conscient
et responsable.
Cela
vous a-t-il permis d’être plus libre encore maintenant ?
Maguy Marin La
différence est qu’avec moins de moyens financiers nous sommes moins nombreux,
et donc cela se passe mieux entre nous dans le travail. Lorsqu’on se trouve à la
tête d’une telle institution, un CCN, on a en main un lieu ressource et donc on
a affaire à des gens qui sont en demande matérielle. Désormais, c’est
différent. Ceux avec qui je travaille sont dans une position moins
hiérarchique. Nous sommes tous alors en demande. Cela oblige à une
collaboration permanente.
Avez-vous
le sentiment d’un désengagement officiel en France dans le domaine de la chose
artistique publique ?
Maguy Marin Absolument.
L’aide de l’État se dégrade et ce n’est pas d’aujourd’hui. Dès qu’on répond à
des choix censés émaner des électeurs, sous couvert de s’adresser en toute
simplicité au peuple, on tombe dans le populisme. Du coup, l’exigence
artistique ne peut pas être comprise et l’on nous taxe volontiers d’élitisme.
Il y a aussi que les noms des artistes les plus connus, chorégraphes, metteurs
en scène, plasticiens, ne servent plus que de vitrine. Chez eux, la question de
l’art ne se pose plus vraiment. Ils ne sont plus qu’admirés. Il est une autre
possibilité, le partage convivial et social de la culture, par exemple ce qu’il
se passe avec la Semaine du tango. Pourquoi pas ? C’est formidable, mais il y a
quand même un grand fossé entre toutes ces pratiques. Ne jamais oublier que
l’art crée aussi de la culture. En interrogeant les œuvres et ceux qui les
produisent ainsi que ceux qui les regardent, on travaille aussi le politique.
Or, il y a de moins en moins de lieux où cela s’effectue.
Qu’en
est-il, selon vous, de l’actuelle condition dite des intermittents ?
Maguy Marin :
Si le Medef n’est pas d’accord et si l’État cède là-dessus, on court à la
catastrophe. Ce soutien à la culture et à l’art est essentiel. Sinon, c’est le
fait du prince.
Les
honneurs pleuvent cette année, notamment à Dijon auprès des jeunes compagnies
de théâtre, à qui vous avez été donnée en exemple pour les formes modernes et
la conception de l’art aujourd’hui qui est la vôtre.
Maguy Marin C’est
l’âge aussi qui veut ça et le fait que j’ai perduré. C’est curieux tout de même
ces hommages rendus à un moment donné. Je ne crache pas dans la soupe. Je pense
au temps qui passe mais je me sens très ancrée dans mon présent. Ce qui
m’intéresse, je vous l’ai dit, c’est la transmission. L’invitation mérite la
peine, car elle permet de rencontrer des jeunes gens, de voir leur travail. On
s’inspire tous les uns des autres. Pour moi, ce fut Pina Bauch mais aussi
Giorgio Strehler, Tadeusz Kantor, Merce Cunningham et même Marcel Duchamp et
Giacometti. Tous ceux qui ont travaillé, écrit, laissé des œuvres. Cela
nourrit. Quand on est jeune et qu’on ne connaît pas encore grand-chose, c’est
chez ceux-là qu’on peut et qu’on doit puiser des forces. J’en ai cité plusieurs
car aucun d’eux n’est unique.
Parlons
de l’état des lieux de la danse contemporaine. Sommes-nous dans une période de
progression, de découverte, ou cela tourne-t-il un peu en rond ? Le goût des
formes nouvelles est-il présent ou déserte-t-il ?
Maguy Marin Je
ne vais pas voir beaucoup de danse. Ça m’a toujours un peu ennuyé (rires).
Kantor m’a mille fois plus touchée que maints spectacles de danse dite
contemporaine. Et j’en reviens toujours à Pina Bausch. Je me sens plus proche
de ce type de recherche. Cela fait longtemps que nous sommes dans une période
charnière. Il faut du temps à un mouvement artistique pour s’imposer. Les
éléments couvent de façon souterraine, se perdent, disparaissent avant
d’émerger. Il faut parfois attendre vingt ou trente ans. Il me semble qu’en ce
moment ça bouge et que ça va mûrir. Entre les années 1980, qui ont vu exploser
la nouvelle danse française, et aujourd’hui – depuis 1990 –, des
formes hybrides ont émergé entre musique et corps, théâtre et corps, arts
plastiques et corps, dispositifs et voix. Tout cela se côtoie beaucoup plus
qu’avant. Il y a un frottement fécond entre les disciplines. Je pense au
cirque, et notamment aux artistes de Trottola et à Bonaventure Gacon, qui sont
très contemporains tout en ne reniant pas l’héritage de la tradition avec
roulottes et caravanes. Ils inventent des formes neuves, sans doute parce
qu’ils ont rencontré du théâtre, comme celui du Radeau, de François Tanguy, et
de la danse. On a là une forme circassienne avec des poussées théâtrales,
musicales et chorégraphiques. Plus question de numéros de cirque.
Et
vous, où en êtes-vous maintenant ?
Maguy
Marin J’ai quitté le CCN de Rillieux-la-Pape il y a trois
ans avant de me rendre à Toulouse, ma ville natale, dans l’espoir d’y fonder un
espace pour la danse. Cela n’a pas eu lieu. J’avais acquis une ancienne
menuiserie près de Lyon en 1997. J’en avais fait un lieu de résidence et de
formation pour les artistes baptisé Ramdam. Nous avons aujourd’hui décidé
d’investir cet espace avec ma compagnie de douze personnes. Nous avons pour
projet de l’agrandir, d’autant plus que trois compagnies s’associent à nous.
Prochaine création en 2017.
Maguy Marin
Chorégraphe
Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Laurent Eyraud-Chaume lit Jean-Emmanuel
Ducoin
LES
VERTIGES DU VENTOUX
Lundi, 22
Juillet, 2002
Le " géant de Provence " est devenu au cyclisme ce que
l'Himalaya est aux alpinistes. Bien plus qu'une simple montagne à gravir.
Mont Ventoux (Vaucluse),
envoyé spécial.
Un massif calcaire tondu comme un moine sur lequel le soleil s'appesantit.
De loin, d'où qu'on vienne, du nord, du sud ou d'ailleurs, on dirait un espace
lunaire paradisiaque qui vous tend les bras, offrande des dieux oubliés aux
hommes d'en bas. Mais de près, c'est un monde en réduction qui crée des
personnages à sa démesure. " J'ai plus souffert dans le Galibier, ou
l'Izoard. Mais qui s'en souvient ? ", déclara un jour Miguel Indurain. Le
mont Ventoux n'est ainsi ni plus raide, ni plus long, ni plus haut que bien
d'autres sommets dressés pour anéantir le plus courageux des cyclistes.
Il y a quelques années, Bernard Thévenet, double vainqueur du Tour (1975
et 1977), confessait dans nos colonnes : " Je n'y ai pas de souvenir
particulier. Je dis ça, mais de cette ascension de 1970, lors de mon premier
Tour, comme de celle de 1972, je peux presque jurer que j'ai gardé chaque mètre
en tête. " Le " mont chauve " impressionne les mémoires. Les
torture. Les éclaire. Dressé au-dessus de Carpentras, dans les odeurs de
garrigue et de sécheresse, le " géant de Provence " honore encore et toujours,
à chaque passage du Tour de France, le mode onirique et nostalgique.
" On y était. "
" Nous l'avons gravi, si, même que je me suis arrêté quatre fois.
"
" C'était avec l'Aronde, en quelle année déjà ? "
Livres d'images mémoire à destination des peuples, à feuilleter en
famille - celle du vélo et les autres. Entre le village de Bédoin, hissé à une
centaine de mètres au-dessus du niveau de la mer, et le sommet à 1 909 mètres,
22 kilomètres d'ascension presque ininterrompue avec des raidards à 14 % dans
la chaleur du flanc sud. " Le matin du Ventoux, c'est jamais un matin
comme les autres ", raconte Lucien Van Impe, vainqueur du Tour en 1976. Et
il ajoute, les yeux lumineux, lui le grimpeur originel : " C'est un
mélange de peur et d'envie. Le Ventoux est un mythe pour le participant du
Tour, et je ne sais pas pourquoi... "
De génération en génération, on se récite les mêmes histoires. Comment,
par le versant de Malaucène, celui où, sitôt passé la source de Notre-Dame du
Groseau, s'élèvent des rampes sans fin, ou par l'abrupt côté de Bédoin, celui
où la route se dresse brutalement au milieu d'une forêt artificielle avant de
se perdre dans les éboulis, des coureurs perdent la raison, leurs forces et
parfois la vie. On le dit. Et si, comme l'a écrit Roland Barthes, " le
Ventoux est un dieu du Mal auquel il faut sacrifier ", alors ce dieu
jalousé et aimé n'accepta jamais qu'on lui dispute son aura.
Elle vint pourtant tardivement sur les routes de la Grande Boucle. Le 22
juillet 1951 exactement. Ce jour-là, le mont renvoie Fausto Coppi en personne à
son humanité géniale. Dévasté par la mort de son frère, Serse, il mène une
course sinon fantomatique, du moins évasive, de l'autre côté du miroir. Et même
l'année d'après, alors qu'il s'est joué du Galibier avec l'aisance des
seigneurs, corps magnifique, c'est Jean Robic qui le prive des superlatifs et
d'une légende dont il ne souffrira pas.
Le vent souffle. L'angoisse monte en dedans quand commence à serpenter
la route, au milieu de quelques pins. C'est dans l'un de ces virages d'ombre et
de lumière que Ferdi Kubler avait attaqué en 1955. " · côté de lui,
Geminiani lui a dit : "Attention, Ferdinand, le Ventoux n'est pas un col
comme les autres", conte Raymond Poulidor. Kubler lui a répondu : "Ferdi
n'est pas non plus un coureur comme les autres !" Quelques kilomètres plus
haut, le Zurichois franchit la crête et c'est dans la descente qu'il perd pied.
" Il a posé son vélo, il hennissait et s'insultait tout seul. " Le
soir, en Avignon, après avoir abandonné le Tour et mis fin à sa carrière, le
coureur délirait encore dans son lit et hurlait devant ses proches :
"Ferdi, il est trop vieux. Il a mal. Ferdi s'est tué ! Ferdi s'est tué
dans le Ventoux !" "
" J'y ai emmené mon fils avec la R 16. Fallait qu'il voit ça une
fois dans sa vie. C'était sous Giscard, je crois... "
" Moi, j'ai vu Indurain s'y envoler comme un ange et laisser Eros
Poli franchir le sommet en tête, puis gagner à Carpentras. "
" Moi, je n'y ai vu qu'une stèle avec "Tom Simpson"
marqué dessus. "
1967. Le 13 juillet, 13e étape. Là où les arbres disparaissent, là où le
Ventoux ressemble à la Lune, bien après Chalet-Reynard, il n'est plus que
désert de caillasse illuminée par une blancheur chaude. Roger Pingeon grimpait
avec un groupe en tête sans savoir qu'il serait vainqueur à Paris quelques
jours plus tard. Ce sont ces derniers kilomètres, ceux qui répondent par la
violence à la violence des hommes, qui ont tué l'Anglais Tom Simpson. L'immense
journaliste Pierre Chany l'a écrit : " Simpson monte au ralenti, le regard
perdu, la tête inclinée sur l'épaule droite selon une attitude qui lui est
familière. " La chaleur conjuguée aux produits dopants vont précipiter un
collapsus cardiaque qui le jette à terre. Chany : " Deux à trois cents
personnes forment un cercle, ignorant sans doute qu'un homme est en train de
mourir. Sur la route, une trentaine de coureurs attardés passent sans un
regard, trop préoccupés par leur propre souffrance. " Point final.
" Devant la stèle, j'ai vu de drôles de boyaux recroquevillés,
laissés par des cyclotouristes. "
" Certains y déposent des abricots séchés. "
" On dit que Jacques Anquetil y a pleuré, longuement. Mais c'était
Anquetil. "
Pour Raphaël Geminiani, " volonté et maîtrise de soi " sont les
deux seules armes pour " gravir la bête ". " C'était mon col
fétiche, explique-t-il. Bobet et moi, on partait du principe que si c'était dur
pour nous, c'était encore plus dur pour les autres. " L'homme sait de quoi
il parle, pour l'avoir toujours à peu près dompté, en 1951 comme en 1952, ou en
1955, et en 1958, année où il prit le maillot jaune au terme d'un
contre-la-montre de légende remporté par Charly Gaul. " Bien sûr,
poursuit-il, le Ventoux par Bédoin, c'est terrible car dans les huit premiers
kilomètres, on se sent comme un poisson hors de l'eau. Une fois qu'on quitte le
bois, on se dit : ouf ! ça va mieux... sauf qu'au sommet le soleil du Vaucluse
brûle tout ce qui se présente. "
Et que peut en dire Eddy Merckx ? 1970 encore : le " cannibale
" s'écroule sitôt la ligne franchie. Comme une vengeance. Le plus beau
palmarès de l'histoire de la petite reine avait oublié qu'on ne peut s'octroyer
une chose inestimable sans en payer le prix. Victoire, mais plus de souffle
pour le Belge. Il chute de l'estrade. Se relève. On le place sous une tente à
oxygène, tout comme son dauphin Martin Van Den Bossche. Les statisticiens
diront qu'il tournait les jambes trop vite : 74-75 tours par minute (que dire
d'Armstrong, alors ?). Les mystiques diront, moins modestes, que le Géant,
humilié par cette jeunesse arrogante, s'était rebellé. " Le feu, j'avais
le feu dans la poitrine ", pleurera longtemps Merckx, comme s'il fallait
que ce souvenir-là et nul autre hante ses sommeils. Et Thévenet de témoigner : "
Moi, j'étais cinquième, c'était ma plus belle place depuis le départ et je
m'étais donné à bloc. J'étais sans voix, sans respiration. Moi aussi, je
n'aurais pas dit non au masque, mais c'est lui qui a tout eu. "
" Mon grand-père a voulu monter avec la Traction : le moteur a
explosé à six bornes du sommet. "
" J'ai vu des plantes qu'on ne trouve qu'au Groenland. Enfin, il
paraît. "
" Au début du printemps, la route lisse est bordée de pylônes jaune
et rouge encore couverts de résidus neigeux. "
Et tout là-haut, alors, qu'y voit-on ? Et pourquoi ? Et qu'y ont vu les
Jean Robic, Louison Bobet, Raymond Poulidor, Bernard Thévenet, Jean-François
Bernard, Marco Pantani et tous les autres, lorsque, seuls, insolents et
miraculés, ils ont bénéficié de la clémence du mont ? Lorsqu'il affronta le
" géant de Provence " pour la première fois, Louison ne l'avait
jamais monté et disait : " Celui-là, il ne faut pas aller le voir ! "
Le Ventoux prend. Le Ventoux dispose. Peu importe le statut et les honneurs, le
rang et les victoires, là comme ailleurs rien ne remplace les soupirs d'effroi
des anonymes. Vertiges.
Jean-Emmanuel Ducoin
P. S. Ce n'est peut-être qu'une rumeur, mais à l'endroit même où la
stèle dédiée à Tom Simpson se dresse, on dit que le cour des coureurs
augmenterait soudainement de quelques pulsations. Les scientifiques cherchent
des explications.
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Radio France est sacrifiée:
Acte désespéré des grévistes quand la direction de Radio France refuse de les écouter.
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Patrick Le Hyaric explique les changements financiers pour l'Humanité qui a été sauvé par le tribunal.---------------------------------------------------------------
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Acte désespéré des grévistes quand la direction de Radio France refuse de les écouter.
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