Adèle H
Je viens de voir le film
bouleversant de François Truffaut, « Adèle H ».
Comment devenir autonome
en étant dans l'ombre d'un grand homme ? Telle est une des
problématiques d'Adèle, une des filles de Victor Hugo. Plus tard,
elle errera comme l'ombre d'elle-même.
Comment devenir une et
une seule, tout en portant le prénom de la femme de son père ?
Madame Victor Hugo s'appelle aussi Adèle.
Pour oublier le poids de
ce nom, le nom de son prénom, elle va mettre en place des stratégies
différentes.
Le titre est évocateur :
« Adèle H », c'est Adèle sans Hugo. Adèle toute seule,
cela n'existe pas. Adèle est dans une filiation. Mais cette histoire
est douloureuse pour elle. Pour fuir cette souffrance, Adèle ment.
Elle change son nom de famille, parfois elle change de prénom. Elle
use de « Léopoldine », cette sœur qui meurt noyée dans
la Seine, près de Villequier, à l'âge de 19 ans et qui inspirera à
Victor Hugo un poème à faire pleurer, quand il est sur le chemin du
cimetière :
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la
campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai
par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin
de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans
rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le
dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera
comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni
les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand
j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et
de bruyère en fleur.
Ou encore quand il rend hommage à
son gendre qui meurt aussi avec sa fille :
Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs.
–
Que fais-tu? disait-elle. — Et lui disait : — Tu meurs
Il faut
bien aussi que je meure !
– Et, les bras enlacés, doux couple
frissonnant,
Ils se sont en allés dans l’ombre ; et
maintenant,
On entend le fleuve qui pleure.
Puisque tu fus si grand, puisque tu fus si doux
Que
de vouloir mourir, jeune homme, amant, époux,
Qu’à jamais
l’aube en ta nuit brille !
Aie à jamais sur toi l’ombre de
Dieu penché !
Sois béni sous la pierre où te voilà couché
!
Dors, mon fils, auprès de ma fille !
Cette douleur est aussi
sur les épaules d'Adèle. Son père l'a peut-être oubliée.
Quand d'autres
recherchent leurs parents qui les ont abandonnés pour comprendre
leur histoire et se replacer dans une filiation, compliquée souvent
mais nécessaire et vitale, Adèle, elle, cherche par tous les moyens
à effacer ce nom de Hugo. Elle ne veut plus être la fille de son
père.
Quand le magicien
imposteur lui demande de qui elle est la fille, elle ne peut pas
prononcer ce nom. Sa langue en serait brûlée, sa bouche serait en
feu, les flammes embraseraient son cerveau. Alors, elle l'écrit sur
la buée empoussiérée de la glace et l'efface tout aussitôt, sans
laisser de trace.
Adèle veut détruire le
lien familial, mais est ambiguë. Quand elle en a envie ou besoin,
elle joue sur la réputation et la notoriété de ce nom pour tenter
de parvenir à ses fins. Elle ruse.
Ce père ne l'aide pas
beaucoup. La comprend-il seulement ? Quand elle écrit un livre
de musique, il refuse de le publier, lui reprochant ses provocations.
Quand elle aime un jeune homme, son père le réprouve en ne voyant
que ses défauts. Certes, Pinson a eu le choix entre la prison ou
l'armée (on pouvait encore choisir à cette époque!) pour payer ses
dettes de jeu. Quand Victor Hugo écrit à sa fille, c'est pour lui
demander de revenir vivre avec lui. Il la veut pour lui seul. Il ne
veut pas la voir autonome.
Adèle s'accrochera à
son lieutenant dans l'espoir de se marier et de changer de nom. Elle
veut qu'on la nomme MADAME PINSON. Elle sait bien qu'il ne l'aime
plus, mais elle espère le convaincre de l'épouser en l'implorant,
en acceptant ce que l'orgueil fait refuser à tout un chacun, en lui
offrant de l'argent, en obéissant au moindre de ses caprices. Il est
honnête (cynique?) avec elle quand il n'a plus rien à en obtenir. S'il lui a
promis le mariage pour pouvoir la déflorer, il ne regrette pas de ne
pas tenir sa parole quant au mariage.
Alors, dans un moment de
lucidité, Adèle s'écrit que pour rien au monde elle ne renoncera à
ce nom illustre. Le prix à payer en sera la solitude. Après
l'audace, c'est le temps de l'oubli de soi.
Et en effet, c'est le
début de sa déchéance. Si elle a marché sur l'eau pour traverser
l'océan et rejoindre son amant, elle est en train de se noyer dans
le désespoir. Elle écrit un livre à partir de son expérience,
livre qu'elle garde jalousement (six mille pages). Mais, elle ne se
coiffe plus, ne change plus sa robe déchirée, erre dans les rues
sans reconnaître son ancien amant.
Où qu'elle aille, à
Halifax, dans les îles de la Barbade, Victor Hugo est connu et
reconnu comme étant celui qui s'est intéressé aux pauvres gens. Et
à cause de ce nom, elle ne trouve pas sa place dans ce monde. Son
oncle, Eugène Hugo a lui aussi sombré dans la folie.
Adèle rentrera en
France, brisée, seule, faible, pauvre, meurtrie et abîmée. Elle
terminera sa vie quarante ans plus tard dans une maison de santé à
Saint-Mandé. Elle repose à Villequier.
-----------------------
Page
350 – Isabelle Adjani et Adèle H :
Le
couple Isabelle Adjani-André Dussolier se sépare. Jean-Claude Brialy la reçoit
chez lui pour qu’elle fasse le point. Il a énormément d’admiration pour elle. « Ensuite,
sa carrière s’emballa, tout le monde la réclamait. Elle démissionna du Français
après quelques beaux succès pour pouvoir rejoindre Truffaut dans L’Histoire
d’Adèle H. »
Jean-Claude Brialy
Le Ruisseau des Singes
Autobiographie
Robert Laffont – 2000
-------------------
Villequier
Tombe
Adèle Hugo fille
----------------------
1826 - 1871
Adèle Hugo fille
Vers 1855.
Villequier
Musée Victor Hugo
Maison Vacquerie
----------
François-Xavier Hugo 1828 - 1873
Adèle Hugo fille
Dessin à l'encre
Villequier
Musée Victor Hugo
Maison Vacquerie
----------
Jean Hugo est l'arrière-petit-fils de Victor Hugo.
Charles Baugniet
Prière de la mariée (perte de la virginité, mort symbolique)
1870
Jean Cocteau
Portraits-souvenir
Les Cahiers Rouges
Grasset, 1935
Page 155 :
Baudelaire* et Victor Hugo.
Il cite la phrase de Baudelaire pour expliquer que Anna de
Noailles ne lâchait plus le bassinet quand elle avait commencé à capter
l’attention de son auditoire : « Hugo se lance dans un de ces
monologues qu’il appelle une conversation. »
*
Edouard
Manet
Paris,
1832 – 1883
Portrait
de Charles Baudelaire
1869,
eau-forte, 4e état
Edouard
Manet a réalisé trois portraits de Baudelaire d’après une photographe de Nadar.
Cette gravure a été publiée dans la biographie posthume du poète écrite par
Charles Asselineau et parue en janvier 1869 sous le titre : Charles
Baudelaire, sa vie, son œuvre ( …) avec portraits. Le poète comme le
peintre étaient, tous deux, grands admirateurs du peintre romantique.
Musée Eugène Delacroix
Paris
------------------
« Par
ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô
démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme... »
Charles
Baudelaire /Sed non satiata
Les
Fleurs du mal
---------------
"Tout
l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine,
frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et,
comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon
coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé."
Baudelaire
--------------
Henri Fantin-Latour
Grenoble, 1836 - Buré, 1904
Hommage à Delacroix
Salon de 1864
Charles Baudelaire
1821 - 1867
Poète
1864
Huile sur toile.
Musée d'Orsay
-----------
Charles Baudelaire Graph
Paris
--------
Charles Baudelaire Portrait de Jeanne Duval
1865
Musée d'Orsay
Portrait
de Jeanne Duval, réalisé à l'encre de chine par Charles Baudelaire
alors qu'il n'a que 21 ans
Jeanne
Duval est une muse du poète français Charles Baudelaire.
On ne sait pas comment elle connut Baudelaire, mais la date
de cette rencontre se situe entre le 9 avril et le 27 mai 1842. Il
existe bien un témoignage sur cette rencontre : « C'est au faubourg
Montmartre que, passant un soir en compagnie de Cladel, Baudelaire
aperçut Jeanne Duval que des ivrognes tourmentaient.
Et si la muse de Charles Baudelaire échappait au regard du
poète pour se réinventer ailleurs? Baudelaire l'appelait
"Mademoiselle", madame Aupic en a fait une vénus noire. Elle est
tantôt Jeanne Duval, Jeanne Lemer, Caroline Dardart, née on ne sait où, morte
on ne sait quand.
« Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié ! »
Constantin Guys
Portrait d'une femme brune
Portrait de Jeanne Duval
1860
Musée d'Orsay
-------
Jeanne Duval 1865
Musée d'Orsay
Les poèmes des Fleurs du Mal "La Chevelure" et "Le serpent qui danse" lui sont dédiés.
On lui connaît des relations homosexuelles;
Son parfum, ses cheveux et sa sensualité brûlante émeuvent Baudelaire.
-----
Jeanne Duval, l’inspiration oubliée des Fleurs du mal.
Le poète Charles Baudelaire a aimé Jeanne Duval plus
que toute autre. En elle, il a trouvé l’une de ses plus grandes sources
d’inspiration. Mais, parce qu’elle était une femme noire à une époque où le
spectre nauséabond de l’esclavage imprégnait encore la société française, elle
a souvent été effacée des livres d’histoire.
jeanne-duval-l-inspiration-oubliee-des-fleurs-du-mal
----------------
Bartolomeo Veneto (Anonyme d’après un original perdu de)
Venise, connu de 1502 à 1555
Portrait présumé de Lucrèce Borgia
Vers 1510/1520
Huile sur toile transposée sur bois
Nîmes
Musée
des Beaux-Arts
En 1833, tout en jouant le rôle de la princesse Négroni dans Lucrèce Borgia*, Juliette Drouet a rencontré Victor Hugo. Elle a abandonné sa carrière théâtrale ensuite et a consacré sa vie à son amant. Son dernier rôle a été celui de Lady Jane Grey dans « Marie Tudor » de Victor Hugo. Elle est devenue la secrétaire d’Hugo et son compagnon de voyage. Pendant de nombreuses années elle a vécu une vie cloîtrée, ne quittant la maison que pour son travail avec Hugo. En 1852, elle l'a accompagné dans son exil à Jersey, puis à Guernesey en 1855. Elle lui a écrit des milliers de lettres tout au long de sa vie, qui témoignent de son talent d'écriture selon Henri Troyat qui a écrit sa biographie en 1997.
Juliette Drouet est morte à Paris le 11 mai 1883 à l'âge de soixante-sept ans.
Pietro
Francesco Mazzuchelli, dit Morazzone
Morazzone,
près de Varèse, 1573 – 1626
La
mort de Lucrèce
Première
moitié du XVIIe siècle
Huile
sur toile
Nîmes
Musée des Beaux-Arts
Lucrèce et Collatin
Sienne
3 e quart du XVe s
Petit palais
Avignon
-------------------------------------------------
Elisabeth de Gramont
Au temps des équipages -
Mémoires
Les Cahiers Rouges – Grasset – 2017 – Première édition en
1928
P 172 :
Sarah
Bernhardt (….) « lourde de soixante-cinq années, ayant une jambe de bois,
trouve encore, pour persuader le duc de Ferrare, dans Lucrèce Borgia, les
accents les plus enchanteurs que j’ai jamais entendus au théâtre. »
Jacques Réattu
Arles, 1760 – 1833
La mort de Lucrèce
Marseille, 1796
Huile sur toile
Musée Réattu
Arles
Jan Massys
Anvers, 1509 - 1575
Tarquin et Lucrèce
Vers 1550
Lille
Musée des Beaux Arts
Lucrèce, dame romaine vertueuse, fut victime d'un viol et se donna la mort. Les images de ce récit à charge plus ou moins érotiques étaient appréciées à la Renaissance. Le rouge de l'agresseur est symbole de pulsion. Le blanc de Lucrèce est le signe de l'innocence.
Lucrèce se donnant la mort
Huile sur toile
Troyes
Beaux-Arts
Dans un geste théâtral, la jeune femme s'apprête à plonger un couteau dans son coeur. Sa poitrine est dénudée.
--------------
Anonyme
Italie
Mort de Lucrèce
Caen
17e s.
Huile sur toile
Musée d'art
NDLR: quelle belle poitrine!
Lucrèce se perce le coeur d'un poignard, ne pouvant supporter l'outrage de Sextus Tarquin.
En vengeant sa mort, elle provoque la chute de l'empire étrusque de Rome.
------------
Fécamp
Musée les Pêcheries
Léon Olivié
1833 - 1901
Le serment de Brutus sur le corps de Lucrèce
1879
Huile sur toile
Violée par Sextus, Lucrèce appelle auprès d'elle son père et son époux. Elle leur demande de la venger, puis se donne la mort.
Junius Brutus, neveu de son époux, s'empare du poignard et jure de la venger.
Il met fin à la royauté et permet le début de la République, en 509 avant J-C.
-------------
Frédérick Lemaître
Portrait en buste
Le Havre
MUMA
Acteur, il devient l'un des grands noms du théâtre du Boulevard en interprétant, entre autres, "Lucrèce Borgia" et "Ruy Blas".
Une estime réciproque unit Victor Hugo et Frédérick Lemaître.
Il cite Hugo dans ses mémoires. Il a eu "le bonheur d'interpréter" ses oeuvres.
Hugo associe l'acteur "aux amis et alliés qu'il a reçus dans sa maison". Avec Lamartine, Delacroix, David d'Angers, Chateaubriand.
Frédérick Lemaître
Comédien
Paris
-----------------
Page
409 – Frédéric Lemaître :
Jean-Claude
Brialy, directeur du théâtre des Bouffes-Parisiens, rencontre, vers la fin de
sa vie, Eric-Emmanuel Schmitt. Ils discutent de pièces de théâtre à jouer dans
son théâtre et apprend que Schmitt a écrit une pièce pour Belmondo qui va
interpréter Frédéric Lemaitre. « O rage ! O désespoir ! Frédéric
Lemaître était l’autre grand personnage qu’avec Lacenaire j’avais toujours rêvé
de jouer ! »
Jean-Claude Brialy
Le Ruisseau des Singes
Autobiographie
Robert Laffont – 2000
------------------
En 2004, le compositeur Richard Dubugnon fait une
découverte exceptionnelle : les partitions d'Adèle Hugo à Hauteville House.
La fille de Victor Hugo était aussi pianiste et
compositrice. L'Orchestre Victor Hugo Franche-Comté propose ce
vendredi la création mondiale.
Au total, avec d'autres partitions retrouvées au domicile
parisien des Hugo place des Vosges, ce sont 17 mélodies pour voix et piano.
Quelques-unes des compositions, réalisées en autodidacte,
de celle qui fut pianiste, ont été jouées pour la première fois le 31 mars
dernier.
09 23
-------------------
172 personnes ont lu cet article
-------------