Les Ponts couverts et le Musée d'Art moderne et contemporain
Le Havre – Le Volcan.
Enterrement de la culture.
Texte des élèves du théâtre national de Strasbourg occupé.
"La génération des « 20 ans ».
Plus de rêves, d’objectifs, de promesses.
Construire ensemble le monde de demain.
La pandémie a coupé nos membres.
Nous ne survivrons pas quoi qu’il arrive.
Une génération est sacrifiée.
Nous voulons apprendre à vivre avec une pandémie.
La jeunesse pourra-t-elle encore
rêver à un autre état du monde ?
Comment peut-on imaginer un monde solidaire ?
Il restera la solitude.
L’économie se fait au détriment de l’humain.
Nous serrons les poings et nous sommes dangereux.
Notre révolution est humaine.
Nous ne sommes pas affaibli.e.s.
Nous ne refusons pas la
peur.
Nos lieux de
recherche et de travail
nous ont été enlevés.
Nous ne sommes pas
votre priorité.
Vous nous refusez une
place.
Nous sommes vos
suicidé.e.s."
Le Volcan est occupé
depuis un mois.
Le Havre – Le Volcan.
Enterrement de la culture.
Texte des élèves du théâtre national de Strasbourg occupé. (Photos)
Les poings levés.
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Occupant·e·s du TNS: « Nous sommes vos
suicidé·e·s »
Il y a plus d’un mois, dans la foulée de l’Odéon, les
élèves de l’école du TNS et d’ailleurs occupaient le Théâtre national de
Strasbourg. Aujourd’hui, plus d’une centaine de lieux culturels sont occupés.
En marge des revendications professionnelles et sociales dûment répertoriées
par toutes et tous, les occupant·e·s du TNS écrivent aujourd’hui cette tribune.
Un cri d’alarme, une arme de lutte.
« Nous
avons 22 ans, 25 ans, 23 ans, 19 ans, 27 ans, 18 ans, 21, 24 et 26. L’une de
nous a eu 20 ans la semaine dernière, derrière les portes closes de ce théâtre.
Et combien d’autres ont fêté et fêteront leurs 20 ans seul-e-s?
Nous avions des rêves pour chaque anniversaire à venir. Des
objectifs, des projets, des promesses. Nous devions grandir, encore, chercher,
saisir, sentir, construire, ensemble et dans toutes les langues, le monde de
demain. Etendre nos bras, nos jambes, enjamber, courir. La pandémie nous a
coupé nos membres. A nous, jeunesse amputée, mutilée, vous avez répondu «
courage », « espoir », «patience». Alors nous nous sommes armé-e-s, oui, de
patience, nous avons espéré, attendu, prié, nous nous sommes confinés, nous
nous sommes masqués, nous avons accepté, d’annuler, d’arrêter, d’interrompre.
On s’est résigné à nos écrans. On s’est stoppé en pleine route sur des longs
chemins. Figé dans l’élan. En équilibre. Les amitiés naissantes, empêchées, les
rencontres, empêchées, l’apprentissage, empêché, l’expérience, empêchée. La
pensée, confinée. Empêchée.
Vous nous aviez dit que nous étions les forces du rêve. Mais
l’espoir ne tient pas « coûte que coûte ». Et le rêve s’abîme. Et le courage
s’épuise. Et ça ne suffit tout simplement plus, car ça fait déjà trop longtemps
qu’on espère, et nos réserves ne sont pas infinies, elles s’amenuisent, se
réduisent en peau de chagrin.
NON, NOUS NE DANSERONS PAS TOUJOURS, NON, NOUS NE RÊVERONS
PAS TOUJOURS, NON, NOUS NE SURVIVRONS PAS QUOI QU’IL ARRIVE, OUI, DES DESTINS
SERONT BRISÉS, OUI, DES EXISTENCES SERONT CONDAMNÉES, OUI, UNE GÉNÉRATION EST
SACRIFIÉE.
Nous ne vivons pas dans le déni de la pandémie. Nous voulons
apprendre à vivre avec elle là où le gouvernement nous exhorte à attendre des
jours meilleurs. Nous ne pouvons plus attendre un futur sans cesse mort-né. Un
jour viendra où nous nous ne pourrons plus espérer, croire, attendre. Et qui
prendra la relève ? Les plus jeunes d’entre nous, les adolescents et les
enfants seront-ils encore capables de rêver à un autre état du monde ? À 14 ou
15 ans, quand on s’est déjà habitué à ne pas connaître le visage des autres,
comment peut-on imaginer un monde solidaire ? À moins que ce ne soit cela
finalement l'objectif des arbitrages: enterrer pour toujours l'idée que l'on
peut vivre dans la pluralité. L'idée que l'autre peut nous aider. Qu'est-ce
qu’il restera alors ? Une société où l'on étudie seul-e, où l'on travaille
seul-e, où l'on jouit seul-e, où l'on meurt seul-e. Oui, cette société-là
entretient et garantit un fonctionnement économique effréné, au détriment de
toute logique humaine. Nous savons que l'argent ne fait plus le bonheur de
notre génération : nous apprenons chaque jour le goût amer de sacrifices et de
solitudes qu'il a désormais. Et nous ne pouvons même pas vomir : nos ventres
sont vides. Notre seule nourriture est une colère immense. Et cette colère sera
notre puissance d’être. La mort lente qui rampe sur nos corps, mort sociale,
mort physique à laquelle nous condamne le gouvernement, nous allons nous en
défendre, nous aussi « coûte que coûte », avec les dents, les ongles. Avec les
pavés, avec le feu.
Ici, à l’intérieur des théâtres où nous nous sommes enfermés,
plus les jours passent, plus nous sommes inquiets. Ne croyez pas que nous
dormons. Ne croyez pas que nous rêvons. Nous avons les yeux grand ouverts. Plus
les jours passent, plus nos mains sont serrées. Plus les jours passent, et plus
nous sommes dangereux. Nos révoltes ne sont pas culturelles. Notre révolution
est humaine. Entendez-nous, chaque jour qui passe, nous sommes affamé.e.s mais
pas affaibli.e.s. La peur qui grandit nous fait vivre. Nous sommes décidés à en
découdre avec la marche inacceptable du monde. Nous ne refusons pas la peur,
parce qu’elle est dans nos mains, dans nos poings serrés. Parce que sans elle,
sans cette force qui nous pousse encore, encore, encore, encore, nous serons
définitivement sans avenir.
Il n’y a pas de porte de sortie pour nous. Entendez-nous
bien: pour nous, il n’y aura pas d’autre possibilité que de lutter. Pas d’autre
poésie que l’action réelle. Que peut-on perdre de plus ? Nos lieux de pensée,
de création, nos lieux de recherche, de travail nous ont été enlevés. Nous
avons été laissés de côté, perdants dans tous les arbitrages, inlassablement
condamnés, nous avons été, tout le long de cette crise, depuis plus d’un an,
vos prêts-à-sacrifier. Nous ne sommes pas votre priorité, nous l’avons compris.
Un pays qui oublie sa jeunesse, qui sacrifie sa jeunesse, qui néglige sa
jeunesse, un pays qui assassine sa jeunesse –est-il viable ? Vous nous laissez
tomber, et il faudra que vous l’assumiez. Nous ne sommes pas vos actifs
marchands et productifs, nous sommes la génération du futur, nous sommes vos
suicidé-e-s.
Nous vous avons appelé. Nous avons habité, occupé, crié à nos
fenêtres.
Vous avez mis en balance les existences humaines, vous les
avez catégorisées en valeurs marchandes par les termes « essentiel » et «
non-essentiel ». Nous sommes vos suicidé-e-s. Vous avez gardé nos lieux de vie
fermés. Et quand nous avons protesté, votre seule réponse a été, encore, de
clamer notre inutilité. Vous nous laissez crever. Nous sommes vos suicidé-e-s.
Vous avez frotté l’injustice jusque dans nos visages. Qu’est
ce qui ressemble plus à une salle de spectacle, de concert, qu’une église?
Qu’est ce qui ressemble plus à un amphithéâtre d’université qu’une assemblée
parlementaire? Pourquoi les émissions télévisées peuvent-elles accueillir du
public pendant que nous sommes réduits, sans cesse, au distanciel? Pourquoi
peut-on acheter mais pas apprendre, pas penser? Nous sommes vos suicidé-e-s.
Vous nous avez refusé des aides à l’emploi et à l’insertion.
Nous, étudiant-e-s qui allons faire notre entrée dans un monde professionnel
sinistré, profondément fragilisé par la crise, embouteillé, miné par une concurrence
accrue, vous nous avez refusé cet accompagnement. Vous nous refusez une place,
des créneaux pour la jeunesse dans le monde futur. Vous refusez l’abaissement
du seuil d’heures pour les primo-entrants. Vous nous refusez un avenir. Nous
sommes vos suicidé-e-s.
Vous nous laissez démuni-e-s. Vous nous laissez disparaître. Vous
n’avez pas fini de compter vos morts. Nous sommes vos suicidé-e-s. Nous avons
vingt ans. Et nous sommes vos suicidé-e-s. Nous ne laisserons personne dire que
c’est le plus bel âge de la vie. »
Les élèves-occupant-e-s du Théâtre national de Strasbourg.
occupant-e-s-du-tns-nous-sommes-vos-suicide-e-s
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